L'effondrement du progrès historique - ASFJ - [III]
L'effondrement du progrès historique
C’est une banalité creuse d’affirmer qu’il faut moderniser la
politique française. L’urgence est en fait plus ambitieuse : elle est,
de la post-moderniser, d’envisager un au-delà de la modernité. On ne
peut continuer sur la voie dite du développement avec l’obsession de
l’efficacité-rentabilité économique et de la primauté de la technique
au détriment de toute notion d’humanisme. Nous devons comprendre que la
qualité doit primer sur la quantité, que ce qui est proprement humain
échappe au calcul. Nous verrons la revanche d’Ivan Illich, prophète de
la convivialité. Chaque année expose nos sociétés hyper technologiques,
vouées à la rentabilité et au progrès-profit effrénés, à des
catastrophes comme la crise très révélatrice de la vache folle.
Il faut faire à la fois la critique du réalisme et la critique de
l’utopie. Il convient d’être capable d’une pensée complexe. Après la
débâcle française de 1940 et jusqu’à l’automne 1941, il était réaliste
d’être vichyste, c’est-à-dire d’accepter comme fatalité la domination
nazie sur l’Europe. Ce réalisme est devenu « irréaliste » en deux ans.
Enfin, il faut concevoir pour le futur la possibilité d’une
création nouvelle, d’une métamorphose, inconcevable avant qu’elle se
produise. Quand un système est incapable de résoudre avec ses propres
moyens ses problèmes fondamentaux, ou bien il craque, ou bien il
réussit à faire surgir de lui un « métasystème », plus complexe,
capable de résoudre les problèmes qui se posent à lui. Les sociétés
actuelles sont incapables de traiter les problèmes planétaires
fondamentaux. Il est vital qu’elles s’associent, d’où l’alternative «
association » ou « barbarie ». Mais cette association devrait faire
émerger une société de type nouveau, une « société-monde ».
On ne peut saisir les problèmes globaux de la planète, tant qu’on
reste dans une connaissance fragmentée selon des disciplines
cloisonnées ; il nous faut une réforme de pensée qui nous permettrait
de concevoir les problèmes fondamentaux et globaux que notre
connaissance actuelle réduit en miettes. On ne peut penser isolément ni
le local, ni le global. Ils s’interpellent sans arrêt, s’interpénètrent
et se confondent. D’où la nécessité d’une pensée complexe. Le «
new-deal civilisationnel », plutôt de type néo-réaliste, passe par une
réforme intellectuelle et morale.
L’appel heideggerien à habiter poétiquement la terre peut-il donner
une forme concrète à cette utopie de la complexité ? Nous vivons
prosaïquement quand nous faisons ce que nous sommes obligés de faire
pour survivre. Vivre vraiment, c’est vivre dans l’intensité de la
passion, du jeu, de la communauté. Il faut substituer à l’idée de
développement, qui se fie au progrès techno-économique pour assurer le
progrès humain, l’idée d’une politique de civilisation même et à
reconsidérer les principes qui commandent et qui nous mènent à la
sclérose, la régression voire la catastrophe. Notre civilisation, comme
le dit Edgar MORIN, ne sécrète plus de l’espérance, comme elle ne
sécrète plus de solidarité.
L’idée qu’une autre voie est possible susciterait une résurrection
de l’espoir. Non pas l’ancien espoir, fondé sur la certitude du
progrès, mais un espoir conscient du pari qu’il comporte.
ASFJ