Aimé Césaire par Léopold Sédar Senghor
Né le 25 juin 1913 à Basse-Pointe
Mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France
[Texte de Léopold Sédar Senghor dans Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française /Puf/1948]
"Lorsque
Jules Monnerot, Etienne Lero et René Menil lancèrent le manifeste de «
Légitime Défense » à la bourgeoisie antillaise, Aimé Césaire, alors
élève de « Khâgne » au lycée Louis-le Grand, fut le premier à l’écouter
et à l’entendre. Comprenant qu’il fallait approndir ce message, il
remonta, d’une part, aux sources françaises, jusqu’à Rimbaud et à
Lautréamont ; d’autre part, à ses propres sources, à ses « ancêtres
Bambara », à la poésie négro-africaine.
Nul plus que Césaire, ne
mérite le titre de « grand poète noir » que lui décerna André Breton en
1943 . Et d’abord cet ancien normalien, ce professeur de lettres, est
le maître magnifique de sa langue, jusque dans le bouillonnement de son
délire. Mais le don essentiel de notre poète est la passion. C’est des
profondeurs de sa négritude qu’explose le volcan émotionnel. Je dis
passion. Le Cahier d’un retour au pays natal — j’ai assisté à
sa douloureuse parturition — est l’expression transcendante du drame
mêlé de la souffrance morale et de la souffrance physique. Pour finir,
le troisième « cœur » du balisier : une tyrannique exigence morale,
l’absolu dans le refus de transiger avec le mensonge ou l’injustice.
Ces
dons que voilà font le poète noir. Ses images jaillissent des
entrailles mêmes du volcan, du creuset où ont mûri métaux et pierres
rares, images des trois continents et des trois races, images du monde.
Images qui frappent parce que images qui chantent. Car Césaire, qui est
surréaliste, mais nègre, ne néglige pas le « stupéfiant chant », — jeu
des sonorités et rythmes verbaux — pour le seul « stupéfiant image ».
Le
poète va plus loin : il réconcilie le rêve et l’action. Je veux dire
que, chez lui, le rêve est action grâce aux « armes miraculeuses »
sorties du dépôt ancien de sa négritude. Il réconcilie le poète et le
politique, ce « Rebelle » dont chaque chant est un refus hautain au
monde blanc de l’argent.
Comprenons Césaire, le « Blanc » symbolise
le Capital ; comme le « Nègre » le travail. A travers les hommes à peau
noire de sa race, c’est la lutte du prolétariat mondial qu’il chante
contre la dictature des pions et des banquiers. Poésie personnelle s’il
en fut jamais, poésie raciale, mais gonflée d’un « amour tyrannique »
pour tous les hommes de ses frères, « d'un amour catholique », comme il
avait tout d’abord écrit."