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Regard politique : entre Regards & Politique
15 mai 2007

La crise des utopies - ASFJ

LA CRISE DES UTOPIES

Les utopies sont en piètre état. Leur affaiblissement et leur épuisement suscitent une perplexité grandissante ; le corollaire de cette « désolation » est une perte de confiance dans la vie politique. Les catégories mentales, politiques et sociales de notre civilisation sont ébranlées par la faillite des grands projets historiques. Depuis qu’il n’est plus possible de rêver sérieusement de « changer de vie » et que la rhétorique des « lendemains qui chantent » a révélé sa capacité meurtrière, un vide se creuse dans l’imaginaire collectif de nos sociétés.
À la fin de sa vie, le philosophe Emmanuel LEVINAS avait perçu cette démobilisation générale. Il s’était demandé si, au-delà de sa signification politique, « la disparition de l’URSS n’ébranlait pas dans ses profondeurs la conscience occidentale ». L’intensification de la crise du « lien social », la multiplication des violences et des agressions sur fond d’individualisme exacerbé semble corroborer l’intuition du philosophe. Se sentant tenu en respect par les « tenailles de la réalité » comme le dit Edgar MORIN, l’individu contemporain est avide d’échappatoires.
Aussi dommageables soient-elles, la « drug culture » et le culte de la performance sont considérés par un certain nombre de sociologues comme des tentatives de « relever » une vie quotidienne prosaïque et réaliste. La mise en danger de soi-même, par des pratiques sportives, à risque, ou la désinvolture à l’égard de la vie d’autrui dans les infractions automobiles, ne sont-elles pas autant de formes contemporaines et inquiétantes « d’ordalies », ces épreuves « devant Dieu » par lesquelles, au Moyen Age, les hommes se prouvaient qu’ils étaient encore dignes de vivre ?
« Chaque époque rêve la suivante » s’enchantait Jules MICHELET pendant le Printemps des peuples, en 1848. La nôtre semble faire exception. Comme si elle était définitivement inapte à sécréter un imaginaire collectif positif. Les individus ne partagent pas un espace de respiration commun, ils ont chacun le leur. L’avenir de l’humanité a cessé d’enchanter son présent.
C’est un des imprévus de l’histoire : cet « effacement de l’avenir » n’est-il pas, en fait, salubre ? Comme le note Edgar MORIN, l’utopie est plurielle. Or, au cours du XXème siècle, c’est son versant le plus ambitieux qui a triomphé. Le plus ambitieux et le plus destructeur. L’Union soviétique en a donné la formulation la plus rigoureuse. Le communisme a été une religion de l’humanité. Son utopie propre a consisté à hâter « l’avènement du genre humain ». La Révolution se chargeait de cette tâche immense. Elle supposait une intense rééducation des hommes réels. C’est pourquoi il reste dérisoire d’expliquer le Goulag en le mettant, comme certains trotskistes actuels, sur le compte de la « déviation réactionnaire » d’un « projet généreux ». En fait, les crimes du communisme sont la conséquence directe de sa philosophie : « Pas de pitié pour les ennemis de l’Humanité ». Quand elle consiste dans la guerre totale du genre humain avec ses « éléments indésirables », l’utopie peut donc être homicide. Le totalitarisme est une pensée de « dépeupleurs », qui vident le monde de sa complexité et le réduisent à la confrontation d’un Homme générique – la figure unique du genre humain – avec les « méchants, qui ourdissent sa perte.
La conscience occidentale, « ébranlée » par les crimes commis « au nom de l’humanité », a épuisé la démocratie. Est-elle pour autant, assez antitotalitaire pour faire, désormais, un bon usage de l’utopie ? Peut-on décerner un brevet d’antitotalitarisme aux deux utopies minimales qui se partagent encore les faveurs de nos contemporains : l’utopie écologique et l’utopie communautaire ?
L’utopie naît à la Renaissance. Le premier humanisme l’inspire. Dans les œuvres du philosophe anglais Thomas MORE, de l’écrivain italien Tomaso CAMPANELLA, ou, dans l’Abbaye de Thélème imaginée par RABELAIS, l’utopie ne veut pas changer l’homme, mais l’enrichir. Elle vise moins une refonte de la condition humaine que son ouverture aux trésors de la culture. Elle est éducative et non réeducative. Le communautarisme et la morale planétaire veulent, en revanche, « réformer » les hommes. Ces derniers doivent, dans les cas, faire le sacrifice des espaces publics nationaux. « Penser local » et se replier sur leurs désinences ethniques, ou « Penser global » et appeler de leurs vœux une gouvernance mondiale écologique et la fin des guerres. Utopique utopie : sous une forme anodine, souriante et proche, la rupture totalitaire avec les limites de la condition humaine ne fait-elle pas toujours des émules ?
ASFJ

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